Alain Gerbault
ne rêve que de solitude
C'est à Dinard, où enfant, il passe ses vacances qu'Alain Gerbault ressent l'appel de la mer à bord du yacht de son père. Les récits des prouesses d'audace et d'endurance des navigateurs bretons le passionnent. C'est là, qu'il apprend à aimer la mer.

Fils d'un ingénieur industriel et d'une descendante d'une noble famille vendéenne, Alain Gerbault, ingénieur des Ponts et Chaussées, deviendra joueur de tennis de première série et redoutable amateur de bridge. Il est pilote pendant la guerre de 1914. Déjà, à cette époque, il fait preuve d'indépendance en refusant toute sortie en escadrille et en abattant seul plusieurs avions ennemis.

Après sa démobilisation, il décide d'abandonner sa carrière d'ingénieur, et il s'installe dans le Midi où il monte plusieurs entreprises. Très vite il projette de réaliser ce rêve un peu fou : faire voile pour les Îles du Pacifique.

Pendant plus d'un an, il parcourt tous les ports de Hollande, de Belgique, de France pour découvrir enfin en Angleterre, son bateau. C'était le "Firecrest", nom qui signifie "crête de feu".

À Cannes, il partage son temps entre les championnats de tennis et son entraînement marin.

Très tôt, chaque matin, quel que soit le temps, il prend la mer, s'habitue à manoeuvrer seul la voilure et à acquérir une force physique suffisante pour supporter la fatigue. Peu à peu, au cours de ses petites croisières en solitaire, les choses de la terre perdent à ses yeux de leur importance. "Je deviens un marin et seulement un marin" écrit-il.

On a longtemps épiloguer sur les causes du départ d'Alain Gerbault. Déception sentimentale ? Lassitude du monde frivole qu'il côtoyait au Savoy Club de Nice ? Besoin de se prouver qu'il ressemblait aux héros de ses lectures d'enfant ? Autant de points d'interrogations qui restent sans réponse.

Le départ
Le 25 avril 1923, un homme part à la conquête de son bonheur, à la découverte de lui-même, Alain Gerbault appareille pour son tour du monde. Une plaque apposée dans le port de Cannes le rappelle aujourd'hui.
Pour cette grande aventure, Alain Gerbault n'a voulu aucune publicité. Dans le port de Cannes, de nombreux voiliers sont alignés le long des quais. L'un d'eux se détache et vogue vers le large, toutes voiles dehors.
Sur sa coque longue et mince, un nom "Firecrest". À bord un homme seul. Chaque fois que l'écume jaillit sur le pont, il est trempé par les embruns, les cheveux en bataille, l'air du large lui fouette le visage. Il rit et chante à pleins poumons une vielle complainte bretonne. Seul son ami Pierre Albaran lui fait un dernier geste d'adieu.

La navigation
Après trois semaines d'une navigation épuisante, il arrive à Gibraltar.
Quinze jours plus tard, le 6 juin à midi, l'odyssée commence. 4 500 milles seul au milieu de l'océan. à la barre, quelquefois douze heures de suite alors que l'étrave du Firecrest fend la vague, son capitaine admire la beauté du paysage marin. Lorsque le vent devient frais, il veille au grain. Pendant les accalmies, il répare les voiles déchirées par la tempête.
On a souvent accusé Alain Gerbault de ne pas être un vrai marin puisqu'il passait son temps à réparer sa voilure et son gréement. Il ne faut pas oublier que le Firecrest n'était pas conçu spécialement pour une traversée ou pour une course, mais un bateau de trente-deux ans d'âge. De plus, il n'existait pas à l'époque des éléments d'accastillage d'une grande fiabilité.
Après 102 jours d'une navigation mouvementée, Alain Gerbault arrive à New-York le 14 septembre. Il avait gagné la première manche.

La célébrité
A New-York, il devient célèbre. Célébrité qui lui donne pour toujours la crainte de la publicité.
Le 2 octobre 1926, le navigateur français quitte New-York pour poursuivre son périple fertile en dangers et difficultés de toutes sortes.
Les Bermudes, la Polynésie, Touamoutou, Tahiti, partout, il devient "Kim", l'ami de tous. Peu à peu le monde entier se passionne pour ses exploits et tremble pour les périls innombrables qu'il affronte.

Quand son bateau perd sa quille, il est très près d'abandonner mais "La Cassiopée", navire de la marine nationale française sauve le Firecrest. Son cotre remis en état, Alain Gerbault repart malgré l'offre des indigènes de l'Île Wallis d'en faire leur roi. Il quitte la Polynésie, mais il sait qu'il y reviendra. Pour lui, cette terre représente l'un des derniers refuges de la beauté.
Rêve, solitude, c'est cette vie qu'Alain Gerbault va de nouveau mener d'escale en escale. Les Îles Fidji, les Nouvelles Hébrides, l'océan Indien, Sainte-Hélène, les Îles du Cap Vert où, de nouveau, il heurte un récif.
Après une halte aux Açores, il arrive en France où un accueil triomphal l'attend au Havre le 26 juillet 1929. Il reçoit la rosette de la Légion d'Honneur le 2 août 1929. Cette distinction étonne cet homme maigre et musclé dont les yeux frappent tout ceux qui l'approche, des yeux de la couleur même de l'océan.

Fin du "Firecrest"
Avec l'âge et les difficultés qu'il avait affrontées, le Firecrest s'avérait maintenant trop vieux pour reprendre les mers. Alain Gerbault se refusait de le vendre. L'idée qu'un autre que lui puisse manoeuvrer son complice de tant d'aventures lui paraissait inconcevable. Il l'offre alors à la marine nationale et le conduit à Cherbourg en mai 1931.
Le 27 juillet, un remorqueur de la marine se charge du voilier pour le déplacer. La remorque casse, et en quelques minutes, le "Firecrest" coule à pic.
Gerbault en éprouve une grande tristesse, mais il se consacre désormais à la construction de son nouveau voilier "l'Alain Gerbault".

Mourrir en mer
Le 2 septembre 1932, Alain Gerbault sur son nouveau bateau quitte la France, reprend la mer pour ne jamais y revenir.
Sa légendaire épopée se terminera à Timor, Île de l'Indonésie en août 1941. Son bateau est drossé sur un récif de corail, une voie d'eau se déclare. On le retrouve presque agonisant.
Amené à l'hôpital, il y mourut le 16 décembre 1941 à l'âge de 48 ans.
À la fin de la guerre, sa dépouille est conduite à Bora-Bora en polynésie, pour sa dernière demeure.
Tout au long de sa vie de marin, le navigateur solitaire n'aura cessé de contempler la ligne d'horizon qui est pour beaucoup la fin du monde, mais qui fut pour Alain Gerbault le commencement du bonheur...

Pierre Boucher N